jeudi 11 mai 2017

Poèmes de Jean-Paul Desbat (né en 1946)












"Poèmes d'enfance et de jeunesse", par Paul-Gilbert Langevin (1946-1966)

Paul-Gilbert Langevin.

Nel Mezzo del Cammin...
Poèmes d'enfance et de jeunesse.
1946-1966

Livre I
"Vers la vie"

I. Conte du Moyen-Âge
D'après un texte en prose de J.J. Danpierre

I. Le Château


La vaste et morne vue. L'accablante présence
Du grand soleil d'été qui brûle. Le silence.
Puissant, le vieux château, dans ce désert de feu,
Dresse, entre les rochers, ses tours vers le ciel bleu.
De ses fossés profonds, une vapeur légère
Monte, comme à l'assaut des grands murs, et derrière
Les rocs semblent trembler comme un décor de toile.


Le reflet de son arme allumant une étoile,
Le guetteur, fatigué sous son casque brûlant,
S'efforçant de lutter contre un sommeil pesant,
Laisse errer son regard vers un horizon vide
Aussi mort que le ciel et que la plaine aride.


Offrant ombre et fraîcheur à l'abri du grand jour,
Un petit escalier s'enfonce dans la tour.
Puis, dans l'obscurité des longs couloirs de pierre,
Des lames de soleil à chaque meurtrière,
Dans ces rayons dorés, des mouches tourbillonnent
Et groupent leurs essaims dont les ailes bourdonnent,
Envoyant vers la voûte où règne la fraîcheur
Un écho musical de la lourde chaleur.

II. Le Remords


Dans une chambre aux murs encadrés d'arabesques
Et richement ornés de tableaux et de fresques,
Chaque détail est prêt pour le repos du maître,
Il est dans son fauteuil, auprès d'une fenêtre,
Contemplant les vitraux où filtre le soleil.
Dans des assiettes d'or, des vases de vermeil,
S'étalent sous ses yeux de beaux fruits et des fleurs.
Mais son front reste sombre ; il retient mal ses pleurs
De se sentir si seul en son vaste château
Qu'il sent peser sur lui presque comme un tombeau.


Les rires de ses fils, la voix de sa compagne
Manquent à son coeur triste et l'ennui l'accompagne.
Lui-même a eu sa vie, il est devenu vieux,
Et de longues années ont blanchi ses cheveux.
Son âme est alourdie, et de sombres pensées
Avivent le regret de ses fautes passées.
Il souffre amèrement quand son esprit s'évade
Evoquant ses deux fils partis pour la Croisade,
Partis chercher la mort peut-être en Orient
Entraînés par la foi et l'espoir confiant,
Tels ceux qui sont partis voilà bien des années
Et qu'attendent toujours des femmes éplorées.


Mais lui-même autrefois ne fût pas de ceux-là:
Il était jeune alors, et son coeur refusa
D'abandonner amis, plaisirs, château, richesses...
Il ne lui reste plus que sa triste vieillesse.
Pendant que les Croisés mouraient dans le désert,
Ce n'étaient au château que jeux, chansons, concerts ;
Les manants qui passaient, aux échos de la fête,
Regardaient, l'oeil mauvais, tout en hochant la tête,
Pendant que résonnaient les danses et les ris
Sous la protection du sombre pont-levis ;
Le reste, hors les murs!


Maintenant, dans ce coeur,
Le remords s'est logé comme vient la fraîcheur
Quand le soir est tombé. Il sait qu'une jeunesse
Mieux remplie aurait pu consoler sa vieillesse.

III. Les Croisés


Soudain, à l'horizon, se dessine une troupe.
Des hommes sont à pied, isolés ou par groupes.
D'autres laissent au pas leurs chevaux harassés,
Suivis du long ruban de leurs chars attelés.


Le seigneur, alerté par la rumeur lointaine,
Reprend pour un instant son allure hautaine
Pour écouter le bruit qui monte et qui grandit,
Les trompettes, les chants, un cheval qui hennit.
Puis il comprend, aux cris, que cette cavalcade
C'est la marche sacrée, la nouvelle croisade,
Et, près du pont-levis qu'il a fait abaisser,
Le baron, tristement, la regarde passer.


IV. Le Départ


Le silence revient. La chaleur s'atténue.
La belle et douce nuit sera bientôt venue.
Mais le seigneur baron n'est plus dans son château:
Il a voulu partir aussi vers le tombeau.
Parmi les chevaliers qui courent au danger,
Le vieillard, calmement, est venu se ranger ;
Un jeune a pris son trait qu'il portait avec peine ;
Une main vigoureuse a remplacé la sienne ;
Un soldat, près de lui, soutient son oriflamme,
Et le soleil couchant, de sa dernière flamme,
Au-delà du château vide qu'il embrasa,
Dore les cheveux blancs de celui qui s'en va.


Juin 1946
A la mémoire chère et vénérée de mon père,
P.G. Langevin

II. L'Enfant-roi


Paris et ses rumeurs se sont tus tout-à-coup.
Au salon, délaissant la partie et l'atout,
L'Empereur, sur la table, a déposé les cartes
Et regarde, attentif, un rideau qui s'écarte.


A l'intérieur, on voit une femme apparaître
Et chauffer sur son sein l'enfant qui vient de naître.
Son père entre, joyeux, et son espoir renaît:
Son sang, sa joie, son fils est là, il le connaît.


Dans une salle ornée de somptueux tableaux,
Le soleil de printemps illumine un berceau.
Et soudain l'Empereur lève le bras, s'écrie
A la face du monde auquel il voue sa vie:


"Voici mon fils, ô peuple, et que nul ne s'étonne
Si, pendant qu'au lointain le canon saute et tonne,
Sur terre et dans les airs son beau nom retentit,
Et si, dès ce grand jour, une rumeur grandit


Emportant avec elle, et par-delà les cieux,
Le bruit de sa naissance et son nom glorieux."
L'Empire immense alors, comme eût fait un seul homme,
Clama ce chant joyeux: "Vive le Roi de Rome".


1947



III. Vers le glacier du Rhône

I.


Nous avions dépassé l'Oldenhorn, le Pillon ;
La route, en durs lacets, prenait notre sillon ;
Nous étions descendus dans la large vallée ;
Nous avions déjeûné sur le bord d'une allée ;
Nous avions dépassé Sion et ses châteaux,
Et la vigne pendue au flanc de ses côteaux...
Pour découvrir enfin le grand glacier du Rhône
Assis entre ses monts comme un roi sur son trône.


II.


Ce bloc glacé n'a pas la couleur de la neige:
Il est tantôt d'un bleu-vert pâle, ou rose, ou beige ;
A son faîte s'élève une hôtellerie neuve.
Cet imposant glacier est l'âme d'un grand fleuve
Qui, plus tard coulera dans un vallon tranquille,
Entrera dans un lac, baignera trente villes...
Mais le fleuve, au début si calme et vertueux
S'enflamme de colère et devient furieux,
Redouble son courant, fait dérailler un train,
Bondit, s'élance, saute, abat ses ponts, enfin
Déborde dans les champs, inonde la récolte,
Sème partout l'effroi, se gonfle, se révolte,
Mais... son élan brisé le laisse plus docile ;
La navigation sur lui devient facile
Et le fleuve apaisé coule tranquillement,
Reçoit l'Arve à Genève et à Lyon la Saône
Puis, terminant un cours de huit cent milliers d'aunes
Se sépare en deux bras, entre dans l'Océan...


Janvier 1947


IV. Le Pouvoir du Temps
(Traduit d'Ovide)


C'est grâce au Temps qu'au joug courbe prêtant le col
Le taureau tirera l'araire sur le sol.
C'est grâce au Temps qu'on voit obéir à la bride
Le fier cheval qui prend d'une bouche placide
Le mors cruel. C'est grâce au Temps que la fureur
Des lions tombe, ainsi que la rage en leur coeur.
Le Temps fait s'allonger et se gonfler la grappe:
Des grains on croirait voir tout le suc qui s'échappe.
Le Temps du grain de blé fera de blonds épis
Fera couler le fleuve et mûrira nos fruits ;
C'est lui qui lentement apaise nos colères,
Qui console nos deuils et nos larmes amères:


Il peut tout apaiser, glissant d'un pas muet ;
Il peut tout apaiser... sauf mon coeur inquiet.


1947



V. La Ronde des Saisons


Je ne veux point défier l'Univers poétique ;
Mon modeste crayon est prêt à vous servir :
La "Ronde des Saisons" est le poème épique
Par le charme duquel j'espère vous ravir.


I.


L'Automne est arrivé en sa robe de feuilles ;
Les dernières chaleurs de l'été qui expire
Ont passé: les fruits mûrs qu'à pleins bras je recueille
Disent que la saison joyeuse se retire.


Le soleil a perdu sa couleur estivale ;
Le brouillard est tombé, bornant nos horizons ;
Bientôt viendra la pluie, tombant par intervalles
Sur les champs, sur les prés, sur le toit des maisons,
Résonnant dans nos coeurs moroses
De son timbre silencieux,
Et frappant les buissons de roses
De son tic-tac capricieux.


O monotone pluie, ô soleil de Novembre,
Rentrez à tout jamais en vos tristes royaumes ;
Reviens vers nos contrées, ô toi beau soleil d'ambre,
Pénétrer de tes dards sous notre toit de chaumes ;
Viens réchauffer nos coeurs, fais renaître l'été,
Viens encore une fois nous éclairer ici...


Non, c'en est bien fini: le feuillage roussi
Descend en tourbillons vers les bords du Léthé ;
Les arbres froids et nus tendent vers le ciel gris
Leurs branches dépouillées, comme pour l'implorer
De leur rendre leur vert, et les toits de Paris
Voient chaque jour plus tôt leurs maisons s'éclairer.


II.


Mais l'Hiver nous menace, et bientôt va nous suivre ;
Il point à l'horizon ; déjà, le voyez-vous,
Ce vieillard blanc de neige et les doigts bleus de givre
Qui, grandiose, à pas lents, s'achemine vers nous?


Arrête, ne viens pas, sinistre vision,
Nous hanter en notre demeure ;
Laisse-nous réchauffer notre froide maison
De tout le passé que je pleure ;
Laisse-nous faire encore un saut désespéré
Jusqu'à la saison qui s'en va ;
Laisse notre coeur las ici-bas demeuré
Se rappeler ce qu'il aima.


Autant les arbres verts courbés de fruits d'automne
Pouvaient réjouir la pensée,
Autant l'éclair grondant et la pluie monotone
Peuvent de tristesse affliger ;
Autant le soleil d'or qui brille au ciel d'été
Pouvait nous apporter d'espoir,
Autant le vent glacial sifflant sa cruauté
Peut accabler de désespoir.


Il est là, il nous tient, il nous veut capturer,
L'hiver qui sans pitié répand sur nous la glace ;
Il veut nous engloutir sous une carapace
Dont seul le grand Phébus saura nous délivrer.
Non, de sa froide étreinte on nous libèrera ;
Non, lorsque Phaéton au ciel remontera,
Le printemps renaîtra dans toutes ses splendeurs,
Avec ses bourgeons verts, sa couronne de fleurs...


III.


Aujourd'hui c'est Noël, Noël avec ses neiges,
Avec ses froids, ses gels, avec ses joies aussi.
Pour chaque heureux enfant, voici l'arbre garni
De jouets chatoyants, d'étoiles bleues ou beiges.


En ce temps de bonheur, donnons un souvenir
Aux plus déshérités, aux fils de prolétaires,
Victimes malgré eux des guerres sanguinaires,
Qui peut-être jamais ne verront revenir
Ni l'arbre étincelant, ni l'amour, ni les morts
Que chacun d'eux attend, qu'ils espèrent encore...


IV.


Mais la neige retombe, et la neige épaissit ;
La neige nous recouvre et la terre durcit ;
Et la neige confère une lueur diaphane
Aux arbres retenant au vol ses flocons blancs.
Elle enveloppe tout d'un voile de kashmire ;
Un passant morfondu se retourne et admire
Du faîte d'un coteau la neige sur ses flancs
Et son tapis moëlleux, comme une caravane
Qui, à perte de vue, s'étend à l'horizon.


Elle tombe toujours, la blanche fée du Nord,
Le vent siffle le mauvais sort. Entre les fentes des fenêtres,
Le gel redouble: on ne peut mettre
Impunément le nez dehors ;
L'air pique et le sol est glacé.
C'est vrai mais il est des raisons
De ne point désirer que l'hiver soit passé.


C'est aussi la saison des plaisirs purs et sains
Qui nous font perdre haleine et congèlent nos mains,
Mais qui n'en sont pas moins notre joie favorite
Et que nous célébrons en danses et en rites.
O neige, nous ferons de toi de beaux ouvrages:
Nous te façonnerons puis, au temps des Rois mages,
Nous viendrons t'implorer de ne pas nous quitter
Pour pouvoir à jamais contempler ta beauté.


V.


Les frimas continuent sans trêve et sans pitié,
Et les fleuves gelés s'arrêtent, mortifiés.
Cependant les enfants, las de suivre la classe,
Vont par des routes détournées
En rondes affolées, en courses effrénées
Se griser d'air pur et d'espace.
De multiples glaçons, tels de fins et longs doigts,
S'agrippent sur les murs, sur le rebord des toits ;
La fumée des foyers, s'abaissant sous les mitres
Monte vers un ciel gris, tandis que sur les vitres
Les vapeurs tout-à-coup paraissent congelées
En arborisations finement ciselées.


Mais bientôt le froid cesse, et voici la débâcle.
La glace s'ouvre et l'eau ne connaît plus d'obstacle :
Les fleuves débordants inondent les campagnes ;
La neige disparaît, découvre les montagnes.
O cruelle, tu fonds, tu fonds, belle volage.
Sous les puissants rayons du soleil qui t'assiège ;
Mais avec toi se perd sans retour notre ouvrage:
Ta splendeur s'est enfuie ; tu n'es plus rien, ô neige,
Tu n'es plus qu'une boue horrible sous nos pieds ;
La rue blanche n'est plus que des pavés mouillés.


Consolons-nous pourtant, voici venir le jour
Où le soleil enfin illumine à son tour
Le monde, et sa lumière imprégnée de chaleur
Le plonge en un divin bonheur.


VI.


Phébus a pénétré dans l'antre caverneux
Où le féroce hiver et ses loups haineux
Retenaient prisonnier le Printemps. Libre et fier,
Il s'élance et déploie ses bienfaits dans les airs,
Projetant sur le monde un nuage de fleurs
Qui parfument l'azur de leurs fraîches senteurs.
L'hiver dupe et déchu dans ses débris se noie ;
La Terre délivrée laisse éclater sa joie
Et le héros vainqueur s'avance à l'horizon.
Célébrons en nos vers cette heureuse saison.


Dans les immenses prés couverts de fleurs naissantes,
L'oiseau dans son envol déploie son aile au vent
Et, porté par l'air frais, célèbre par moments
De ses joyeux accents la Nature enchantante.
Les arbres sont couverts de bourgeons éclatés ;
Dans quelques jours déjà nous pourrons admirer
Les belles frondaisons dont Avril les revêt.
Les animaux dormeurs tapis dans les forêts,
Ours brun, dans son éveil fébrile,
Lièvre peureux, lapin agile,
Sentant le renouveau sortent de leurs terriers
Et s'enivrent bientôt d'effluves printaniers.


O Printemps, ô joyeux présage de l'Eté,
Nous t'espérions sans cesse, et tu es arrivé.


Ainsi les jours ont fui. Ma ronde terminée
Va déjà faire place à la nouvelle année.


1947 à 1949



VI. Sur la Religion, maxime


Lorsque l'Homme aura su réaliser sur terre
Le règne bienfaiteur, idéal et sublime
De justice, d'amour, d'honneur et d'équité,
Il n'aura plus besoin de l'aide passagère
Qu'apporte à tout moment, pour absoudre ses crimes,
La croyance illusoire en des divinités.


Février 1948



VII. Sonnet à mon Père


Voici qu'est parvenu au terme de ses souffrances
Mon père, ce savant célèbre et vénéré ;
L'un des plus grands du siècle et l'orgueil de la France,
Et dans le monde entier, la Science l'a pleuré.


Ce grand coeur s'est éteint par une aube d'hiver ;
Pour un monde meilleur il est parti sans bruit ;
Avant que sa bonté ait pu porter son fruit,
L'abîme de la Mort devant lui s'est ouvert.


Quelle gloire, ici-bas, n'excita les jaloux?
Il fut toujours en proie à la haine des fous ;
Sa valeur souleva, hélas, plus d'une envie.


Maintenant qu'il n'est plus, on connaît ses bienfaits ;
Il voulait seulement, idéal de sa vie,
Unir dans un seul but la Science et la Paix.


Novembre 1948
Pour le transfert de Paul Langevin au Panthéon.



VIII. Sur les rives de la Seine
Essai pour un chant patriotique parisien

I.


Sur les rives de la Seine
J'ai débuté dans la vie,
Et j'ai choisi pour marraine
Une île verte et fleurie.


J'ai construit mes sobres huttes
En bois et en paille sèche ;
Les Romains, vilaines brutes
Ont détruit ma pauvre crèche.


II.


Ils l'ont rebâtie plus claire,
Plus grande et plus vénérée :
Je n'ai plus connu la guerre
Pendant quatre cent années.


Quand Siegfried et ses barbares
Sont venus braver mon coeur,
Ils ont fui sans crier gare
Devant mes fiers défenseurs.


III.


Mes nautes qui, dans la bise
Voguent sous mes hautes tours
M'ont conféré leur devise :
Fluctuat nec mergitur ;


Et sa Majesté royale
Eblouie par mes attraits
Fit de moi sa Capitale
Et m'embellit d'un palais.


IV.


Cité de Napoléon,
Cet immense conquérant
Pour mener ses bataillons
Et dresser mon arc géant ;


Thiers me donna des remparts
Pour défier l'Univers ;
Haussmann fit mes boulevards,
Eiffel mon sceptre de fer.


V.


Par deux fois vaincue et prise,
Je dus incliner le front,
Mais fidèle à ma devise
Je réparai cet affront.


Toujours plus grande et plus belle
Je saurai vaincre le temps :
Pour moi la vie éternelle
Est un éternel printemps.


Le Poète


Paris, Ville Lumière,
Paris, Cité princière,
Puissé-je te servir en ce refrain.


Paris, coeur de la France:
Grandeur, beauté, puissance,
Sont les trois maîtres-mots de ton destin.


Décembre 1948



IX. Les Lumières de Paris


Paris s'est endormi à l'orée de la nuit,
Paris silencieux. Aucun geste, aucun bruit
Ne trouble le repos de ce géant du monde
Qui sent trembler sous lui, en cette nuit profonde,
Vingt siècles de labeur, vingt siècles de batailles
Dont l'ardent souvenir gronde dans ses entrailles.


La nuit est belle et claire, et le ciel découvert.
Celui qui planerait entre les deux abîmes
Frémirait du spectacle inouï et sublime
De l'Homme répétant l'oeuvre de l'Univers ;


Ses phares clairsemés jalonnant ses artères,
Ici-bas, la cité glorieuse et altière
Lance au ciel le défi de ses feux éclatants ;
Cependant que là-haut, dans le noir firmament,
L'une après l'autre, ainsi qu'un peintre sur sa toile,
La Nature elle aussi allume les étoiles...


Novembre 1948


Livre II
"Vers l'amour"



P.G. Langevin

"In Silva Hiemali"



X. In Silva Hiemali


I.


L'Hiver s'est répandu dans nos champs, et désole
La forêt. Pour un jour, mon village de Brolles
M'accueille et me sourit. Sitôt qu'à l'horizon
J'aperçois, douce amie, ta petite maison,
J'accours, fuyant le monde et ses vaines promesses,
Chercher dans ton regard l'écho de ma tendresse.


Hélas, combien de fois mon désir trop rapide
Se heurta au refus de ton âme timide.
Aujourd'hui, cependant, vaincue par mon instance,
Tu me suis. Dans l'air froid, nous marchons en silence.
Le jour décline et l'heure fuit. Nous nous hâtons
Et, laissant le village à nos pieds, nous montons
La grand'route empierrée en bordure des bois.


II.


Toujours cette forêt me mettait en émoi.
Nous marchions lentement et d'un pas insensible.
Mes yeux, alors perdus dans un songe invisible,
De ton charme impuissants à dénouer la chaîne,
Suivaient une chimère ou un nuage blond.
Au sommet de la côte, un majestueux chêne
Dressant vers l'infini, d'un fier et large bond,
Sa crête découpée et brunie par l'hiver
Fixa soudain ma vue


Nous allions arriver
Au carrefour. La table, énorme bloc de pierre,
Avait pour parasol le grand chêne, et pour bancs
Huit piliers de granit où s'agrippait le lierre.
Dix routes divergeaient ainsi que dix rubans,
Etroites, s'allongeant sur plusieurs kilomètres,
Pavées de gravier rose ou de terre battue.


L'une d'elles m'était familière et connue.
Elle partait d'ici par un sous-bois de hêtres ;
De la saison passée quelques rares vestiges
Epargnés par le vent ornaient de frêles tiges.
Ca et là, des sapins, rehaussant ce décor,
Elevaient vers le ciel leur haute cîme, et l'or
Dont le soleil couchant les faisait scintiller
S'opposait violemment aux arbres dépouillés.



III.


Nous prîmes ce sentier chargé de souvenir.
Sous les hautes futaies, mon errante pensée
S'attarda tour à tour sur l'obscur avenir
Puis sur la gaie vision de l'enfance passée.


Lorsque tu vins au monde et que j'étais bambin,
Un bienfaisant hasard réunit nos chemins ;
Et ce jour, déjà vieux de plus de quinze années
Décida aussitôt de notre destinée:


Ma mère avait acquis le domaine de Brolles.
C'est là qu'elle berça mes premières paroles,
Et, pour que je ne fus pas seul dans mon jardin,
Elle t'y invita: c'est ainsi que tu vins.


Là nos jeux, nos travaux, nos si proches naissances
Lièrent d'amitié notre commune enfance,
Et ce doux sentiment, comme pour nous unir,
Aux rayons de l'amour devait bientôt s'ouvrir.


IV.


J'espérais aujourd'hui t'avouer ma ferveur,
Mais la timidité, cette pudeur étrange,
Faite d'appréhension, de peur, ô mon bel ange,
A chaque instant retient le secret de mon coeur.


En cherchant à percer le calme de ton front,
Je crains à tout moment que ma témérité
Au lieu de ta faveur ne m'attire un affront
Et qu'un reproche ou ton silence immérités


Ne réduise au néant mon malheureux amour.
Hélas, ce fût bientôt le chemin du retour
Et, la gorge serrée, faible et lâche, hésitant,
J'avais perdu ce rare et précieux instant.


Comme nous arrivions au seuil de ma maison,
Derrière la forêt, lançant comme un adieu
Plein de chaude espérance un dernier trait de feu,
Le soleil disparut dans le clair horizon.


Pour Hélène.
Printemps 1949 (rev. 1960)



XI. A un jeune artiste


R are et divin enfant ; belle tête fleurie
O ù brille un oeil de feu ; ô toi que le hasard
B énit dès le berceau du don de l'Harmonie,
E t qui, si jeune encore, tel un second Mozart,
R etiens le monde entier sous un charme inconnu,
T u es si grand déjà, et pourtant si petit!
O Maître, notre souffle à ton geste est tenu ;


B randis ton puissant sceptre et soudain, tous unis
E n un commun élan d'amour et de délire,
N ous croirons tour à tour entendre, dans un rêve,
Z eus foudroyant les cieux, Terpe accordant sa lyre,
I mmense vision, trop sublime et trop brève!


12 Décembre 1951



XII. Chant de Transfiguration
"Verklärunglied"
Essai pour le choeur final de la 3ème symphonie


Révélation


O légende, ô magie,
O prince d'harmonie,
Oui, par ce chant plein de sérénité,
Nous fêtons une date chérie :
Le jour où ton front pur parut à la lumière.


O joie sublime,
O délire irréel :
Bientôt auréolé d'une gloire naissante,
Tu m'apparus guidant d'une droite puissante
L'orage déchaîné.


Invocation


O ma vivante étoile, ô toi qui toujours luis,
Dans l'azur de mon rêve adorable présence,
O mon maître chéri, écoute ici ma voix:


Tu ne seras point sourd à l'appel de celui
Qui dans l'obscurité d'une soirée d'hiver
Sentit vibrer son âme au feu de ton génie.


Elévation


Oui, ton coeur magnanime
Accueille ma prière.
Ami, scellons ici notre union fraternelle:
Ecoute, émerveillé, les trésors inouïs
Qui chantent sous nos pas, et regarde, ébloui,
Ton nom transfiguré aux yeux de l'Univers!


Chant de gloire


Un chant d'amour résonne dans l'espace ;
Un chant de gloire accueille le héros :


Gloire à celui dont l'art anime toute vie,
Gloire à l'enfant divin dont l'image bénie
Resplendit, éternelle ;
Gloire au Maître dont l'âge ouvre une ère nouvelle
D'amour et d'Harmonie!


Décembre 1952, révisé en 1957



XIII. Les Noces de brume


Esprit qui te nourris d'étrange pureté,
Vent espiègle du large et coeur sans liberté,
Rideau de voile ombré qui obscurcis le jour
Et passe au long du temps comme un philtre d'amour...


O rêve d'innocence, aux cris de ton désir
Seul répond le silence et seul le souvenir:
Quinze ans! Hiver sauvage aux brumes de torpeur,
M'offriras-tu l'oubli, l'ivresse ou la douleur?


Illusion! Tout respire, attends peut-être encor:
Ce halo qui s'élève au loin sous l'astre d'or
Dit-il l'heure d'aimer? Non, c'est l'heure du soir
Où l'âme est filigrane, enfance et désespoir!


Tempête au front de verre, en vain tu fuis le bord
Du tournant téméraire au moment de l'essor:
Adieu mâle vertu que tu as couronnée,
Toi seule, dans l'éther amante prosternée.


Trésor de chair, demain, au mépris de l'hymen,
Le lien de sang vaincra, inexorable Amen,
Et, sans cesse abattu, pour un jour triomphant,
Tu sauras le secret de l'empire des sens!


23/26 Novembre 1959


XIV. Incantation


J'ai tant rêvé du jour où je te dirais que je t'aime ;
Et maintenant il est venu et je n'ose y croire!


Un rêve, un rêve encore, n'est-ce donc rien de plus
Que l'antique sagesse a baptisé "Amour"?
Bientôt nous l'apprendrons tous deux, mais aujourd'hui,
Laisse-moi seulement te dire, ô mon Amie,
Comme est pur mon désir, pur comme ta jeunesse
Que je veux admirer, protéger et chérir en silence.


Ton image est en moi, et en toutes choses
Je vois ta présence ;
Et lorsque je rencontre ton regard, mes yeux s'ouvrent
Comme au jour de ma naissance.
Dans mon âme alors, deux voix s'élèvent:
L'une dit "Parle" et l'autre "Attends", et je ne sais
Si l'écho de ce chant te parviendra jamais.


Quand tu le voudras, ma soeur, je te ferai don de l'avenir.
Par les chemins clairs, nous marcherons main dans la main,
Vers le hâvre où je te guiderai ;
Et lorsqu'à la nuit close se fermeront nos paupières,
Une lumière intérieure resplendira, et nous saurons
Que nous l'avons créée dans l'éternelle joie!


14/16 Mai 1960



XV. Ombres


Donne-moi la force,
La force de crier.
C'est le présent qui reste
Le Maître.

Les ombres du Futur
Ne sont rien.
Et pourtant, tenir...


Toutes, elles ont fui:
La fine, la légère, la vaporeuse
Nuit.
Elles étaient douces.
Elles n'ont jamais existé
Que dans un mirage!


Des flots d'amertume
Me montent au visage:
Tout passe,
Mon désir reste,
Inutile.


Tu as cru ;
Tu as attendu.
Réponds, qu'espérais-tu?
L'écho se tait.


Quand tu verras se lever
L'aurore,
Tu n'y croiras plus!


10 Août 1962



XVI. "A la bien-aimée lointaine" (1)


Jour et nuit, tout un an, je vivrai dans l'attente
Et je ne connaîtrai de baiser que le tien,
Car ton feu m'a brûlé, car tes lèvres ardentes
Ont empli mon désir, ont assouvi ma faim.


En toi seule est ma force, en toi gît ma faiblesse ;
De toi naît mon extase et par toi ma souffrance,
Car j'ai senti ton sein frémir sous ma caresse
Et mon âme en ton âme a mis son espérance.


Blotti dans la pénombre où, seul, je t'observais,
Un jour que nul n'oublie, je t'avais reconnue:
Ton front était d'albâtre et tes yeux, dans la nue,
Cherchaient l'écho d'un rêve où l'amour se lisait.


La Terre eût pu s'ouvrir, le Ciel eût pu crouler,
Sans arrêter l'élan de mon coeur enfiévré.
Trente ans j'avais souffert, trente ans j'avais erré.
La destinée enfin allait-elle parler?


Tu as vu ma détresse, éprouvé ma folie,
Et senti chaque jour redoubler mon ardeur.
Puis tu m'as exaucé. Pourquoi, pour ma douleur,
Veux-tu briser l'espoir qui seul retient ma vie?...


Mais non, pardonne-moi, ô Ciel, si j'ai douté.
Ma bien-aimée m'attend, j'ai foi en sa bonté.
Elle est pure et je l'aime. Oh, qu'il me soit permis
De croire encore au jour où nous serons unis!


Pour Monique.
21 Octobre 1966
(1) Titre emprunté au célèbre cycle de Lieder, opus 98, de Beethoven.



Table

Livre I: "Vers la vie"
I. Conte du Moyen-Âge (1946)
II. L'Enfant-roi (1947)
III. Vers le glacier du Rhône (1947)
IV. Le Pouvoir du Temps (1947)
V. La Ronde des Saisons (1947-1948)
VI. Sur la Religion, maxime (1948)
VII. A mon Père, sonnet (1948)
VIII. Sur les rives de la Seine (1948)
IX. Les lumières de Paris (1948)

Livre II: "Vers l'amour"
X. In Silva Hiemali (1949)
XI. A un jeune artiste, acrostiche (1951)
XII. Chant de transfiguration (1952)
XIII. Les Noces de brume (1959)
XIV. Incantation (1960)
XV. Ombres (1962)
XVI. "A la bien-aimée lointaine" (1966)

Source: Archives Paul-Gilbert Langevin
Mise en page par Paul-Eric Langevin